THE PRESIDENT HAS BEEN SHOT

Vous ne le saviez pas ? Nous venons de quitter l'année du cinquantième anniversaire de l'attentat de John Fitzgerald Kennedy...
labro

Philippe Labro n'imagine pas ici ce qu'a pu être la panique qui suivit la mort du président Kennedy. Il ne l'imagine pas pour une bonne raison, c'est qu'il était présent dans le Connecticut lorsque l'annonce du drame se répandit sur les States comme une trainée de poudre. Comme s'il s'était agi là de communiquer la fin programmée d'un monde malade et, dans tous les cas, la fin du grand rêve américain... Autopsie...

Il est stupéfiant de voir encore de nos jours l'émergence d’un embryon d'angoisse perceptible chez de nombreux compatriotes contemporains de l'attentat. En effet, c'est comme si le drame était encore enfoui en eux, comme s'il avait eu lieu hier soir, il y a quelques heures... À tel point que le nombre de livres sur le sujet augmente chaque année de façon exponentielle, attirant toujours autant de lecteurs. Pourtant, le livre de
Philippe Labro, On a tiré sur le Président, apporte un regard neuf sur cet événement si bien inscrit dans la mémoire collective des Français, un élément essentiel de compréhension et d'acception des faits  : le ressenti réel de la population capté dans l'instant présent. Car il s'agit bien là d'une série de photographies d'américains prises sur le vif dans l'instantané, à la manière d'un Richard Avedon — In the American West chez l'éditeur Harry N. Abrams — enchainant les portraits les plus inattendus issus d'un peuple américain pas toujours accablé par la nouvelle de la mort de JFK.

Présent aux États-Unis pour les besoins de
Cinq colonnes à la une, le journaliste Philippe Labro apprend la nouvelle de la bouche d'un étudiant du campus dans lequel lui et son équipe tournent un reportage. Le jeune homme est tellement choqué qu'ils ont du mal à comprendre ce qu'il leur hurle de toutes ses forces. La phrase décryptée est pourtant simple, cruelle dans son dénuement du moindre détail, de la plus petite information utile  : 

—  The President has been shot  ! The President has been shot  !

La phrase résonne comme un extrait d'un
Scorsese et tombe tel un couperet sur les épaules du jeune journaliste.

Il continue de citer plus loin le constat implacable du seul chirurgien légitime du drame à ses yeux  :

—  He’s gone —  Il est parti.

Puis, Labro raconte ses impressions, sur
Jacky Kennedy portant son alliance au doigt de John dans le cercueil — c'est beau... —, sur le meurtre du policier qui suivit l'attentat, sur l'arrestation du suspect Oswald, bref, du très connu, du très imprégné de cette génération restée scotchée aux USA, de la même façon que cette autre, nouvelle éclose, éprise de l'Asie, y voyant un nouvel Eldorado dans laquelle elle pourrait évoluer, se réaliser, s'émanciper... Have a little dream...

Puis tout bascule, le jeune homme de cette génération-là, ce jeune reporter conscient de la chance qui se présente à lui de pouvoir couvrir un tel événement se trouve confronté à la réalité. Une réalité qui le dépasse jusqu'au plus profond de sa chair... Extrait...

Alors qu’il m’avait donné quelques tuyaux utiles, le taxi driver s’était tu et je m’étais aperçu que nous n’avions pas encore parlé de l’assassinat de JFK. Je lui ai dit  :
—  Quand même, quel drame, c’est terrible ce qui s’est passé.
Il m’a répondu sans attendre  :
—  It was about time.
Ce qu’on pourrait traduire par  :
—  Il était grand temps.
Il a ajouté  :—  Ils ont quand même mis du temps à le faire.
Et répété  :
—  It was about time.

Toute la puissance du livre tient dans cet extrait.
Philippe Labro sort de son carcan, de son milieu, de sa génération béate — nourrie aux yéyés, aux woop Do Wap et au Coca, au souvenir impérissable que ces libérateurs du monde libre ont laissé dans les cœurs d'enfants libérés du joug des nazis, pour livrer ce qui lui semble être le véritable ressenti des principaux intéressés du drame  : les Américains eux-mêmes  !

Belle leçon de journalisme  ! Ce livre devrait faire partie, désormais, de ceux qu'un étudiant en journalisme se doit de connaître, se doit de copier, se doit de considérer comme la Bible absolue. Loin des papiers écrits à la hâte — afin d'être le premier, donner l'info avant les autres — Labro prend le temps de nous léguer sa formidable expérience du journalisme. Certes, il ne manque pas ici ou là de donner son opinion, de prendre partie, de redevenir par instant l’adolescent qu'il n'a jamais cessé d'être... Extrait...

Il existe un tel désir de Kennedy, qui n’est pas seulement dû au chiffre rond du cinquantenaire de sa mort, pas seulement à l’évidence de sa personnalité brillante et stimulante, mais à une incorrigible faim pour les années 60, les golden years, les années dorées, une faim impossible à satisfaire entièrement. Les Français —  comme les Américains  — ne se rassasieront jamais de ce couple, cette décennie, cette saga, ces sixties qui virent Bob Dylan chanter et Pablo Casals jouer du violoncelle à la Maison-Blanche.

Mon pauvre Monsieur Labro, si vous connaissiez le degré de l'inintérêt des nouvelles générations pour l'affaire Kennedy, si vous saviez où se place le curseur de la curiosité de ces mêmes nouvelles générations pour l'époque que vous exaltez, alors vous rendriez-vous compte du refus psychasthénique de nos chères têtes blondes devant tout ce qui touche au passé... Fût-il passionnant, fût-il si bien conté et expliqué... Bob Dylan est aujourd'hui un grand inconnu, Pablo Casals une marque de cigarettes, de tequila ou bien encore un peintre. Quant à JFK, il n'est pour beaucoup que le keum de Marilyn Monroe, qui elle-même était une vieille chanteuse de Blues, ayant présenté quelques émissions de télé avec Woody Wood Allen... ou Pecker d'ailleurs... bref, le grand sum quoi...

Reste que quelques-uns d'entre eux vous liront, et permettez-moi de vous dire merci. Continuez d'écrire, continuez d'exister, continuer d'être notre mémoire collective à nous autres, qui n'avons connu ni JFK, ni Oswald, ni Jacky, ni les autres... J'ai, grâce à vous, pu entrer dans l'intimité de mes parents, anténatale, ce fut troublant, précieux... Merci  !