M LE MAUDIT

La nouvelle m'a laissé très sceptique. Je dois confesser ici que je ne connaissais pas du tout ce Gabriel MATZNEFF avant d'avoir appris par un ami, les yeux révulsés et la voix mesurée par le sérieux de ses propos, que le prix Renaudot avait été attribué à ce MATZNEFF, donc, dans la catégorie Essais et que l'auteur en question était un pédophile... Interrogations et investigations...


Quels sont les faits  ? Le prix Renaudot 2013 vient d'être attribué à Gabriel MATZNEFF pour son livre
Séraphin c'est la fin. À peine mon ami a-t-il fini sa phrase que je ponctue son intervention par un puissant  :  «  Tu rigoles  !  ». Bon, à sa mine de bovin à l'arrêt, il semble avéré qu'il ne rigole pas du tout et je me dirige vers l'ordinateur, pointe sur Google le nom de ce nouveau M le maudit et découvre dans les premiers résultats l'article de Wikipedia le concernant.
Rapidement, un des paragraphes évoque, en effet, les penchants de l'homme pour les — très — petites culottes. Mais, rien n'est simple, il ne s'agit pas là de Dutroux. Mes yeux tombent rapidement sur une référence d'un texte de François Mitterrand, je suis le lien Google qui me mène sur le site de Matzneff lui-même et voici ce que j'y trouve:
Matzneff à l'Elysée
Par François Mitterrand, La Feuille Littéraire, n°5, 01/01/1989
Je me souviens qu'un jour, Gabriel Matzneff me signala "l'opposition sous les Césars". "Lucrèce, Sénèque, Pétrone, Tacite," écrit-il, sont pour moi aussi vivants, aussi complices, aussi fraternels que peuvent l'être Byron, Nietzsche ou Cioran. Au moins autant que les maîtres modernes, les anciens Romains m'int appris à vivre. Un jour, ils m'apprendront à mourir. Gabriel Matzneff tient le journal de sa vie depuis l'âge de 16 ans et ne semble connaître qu'un seul ennemi : la pesanteur. Une inspiration hédoniste, puisée aux racines du monde méditerranéen, l'entraîne et le guide. Ce séducteur impénitent, qui se définit lui-même comme un mélange de Dorian Gray et de Dracula, m'a toujours étonné par son goût extrême de la rigueur et par la densité de sa réflexion. La spontanéité de son jugement, exprimée dans un style limpide, s'allie à une exigence de vérité qui le mène souvent hors des limites considérées comme ordinaires. A sa vie et à son oeuvre, il porte la même attention. Je l'ai connu lorsqu'il était un très jeune auteur, vif, grave et léger, un peu littérateur. Quelques chroniques, un livre, m'avaient semblé annoncer un vrai et grand talent. J'ai perdu de vue le personnage qu'il est devenu, jamais l'écrivain qu'il est resté : la preuve...

Lorsque je vous disais que rien n'était simple ici...

Sur Wikipedia à nouveau, l'article se poursuit avec un extrait d'un essai paru en 1974 sous un titre évocateur  : Les moins de quinze ans.

«  Ce qui me captive, c'est moins un sexe déterminé que l'extrême jeunesse, celle qui s'étend de la dixième à la seizième année et qui me semble être — bien plus que ce que l'on entend d'ordinaire par cette formule — le véritable troisième sexe. Seize ans n'est toutefois pas un chiffre fatidique pour les femmes qui restent souvent désirables au-delà de cet âge. (..) En revanche, je ne m'imagine pas ayant une relation sensuelle avec un garçon qui aurait franchi le cap de sa dix-septième année. (...) Appelez-moi bisexuel ou, comme disaient les Anciens, ambidextre, je n'y vois pas d'inconvénient. Mais franchement je ne crois pas l'être. À mes yeux l'extrême jeunesse forme à soi seule un sexe particulier, unique.  »

Je commence alors à comprendre l'ambiguité du personnage. Notons qu'à cette époque, la pédophilie n'a pas la presse qu'elle connait aujourd'hui suite aux affaires Dutroux, Louis, Fourniret ou Heaulme qui ont suffisamment défrayé les chroniques pour durablement alerter, voire traumatiser l'opinion publique. Certes, l'époque était différente, cependant il se trouvait tout de même quelques voix dissonantes au discours de Matzneff que l'on retrouve assez facilement sur nombre de blogs et sur le site YouTube. On se prend d'ailleurs de nostalgie — pas sur les propos de Matzneff, rassurez-vous — en visionnant ces anciens extraits du magazine Apostrophe de Bernard Pivot dont le verbe et l'intelligence manque cruellement à notre télévision devenue la plus abrutissante du monde, mais je m'égare...

Qu'apprenons-nous dans l'émission  ?

L'auteur questionné par Pivot avoue — ou plutôt dit, car il semble trouver tout cela assez normal — avoir eu de nombreuses amantes et amants mineurs et que cela lui semble être une chose naturelle et belle car il s'agit ici d'amour et non de plaisirs charnels. On est évidemment interloqué, mais Matzneff précise — en reprenant même un de ses détracteurs en plateau — que les jeunes gens ont entre 15 et 17 ans... Et là, il faut être capable de regarder la réalité en face. Que cela plaise ou non, un homme — fut-il sexagénaire — qui couche avec un ou une ado de cette tranche d'âge n'est pas considéré comme pédophile. J'entends déjà les cris des féministes et des mamans me reprocher ce que je viens d'écrire. Et je les comprends parfaitement, mais je ne parle pas ici de morale, mais de la loi. Et la loi que dit-elle  ? En France, l'âge de consentement est fixé à 15 ans révolus sous réserve que le majeur de l'histoire n'ait bien entendu pratiqué aucune violence, n'ait pas forcé le mineur et ne soit pas en position d'exercer une influence ou une autorité sur lui (prof, probablement curé etc...). On a tendance à confondre l'âge de consentement et le détournement de mineur qui consiste à — par son action — faire sortir le mineur de son environnement familial et donc de l'autorité parentale. Je précise tout de suite, que je suis père d'un enfant de trois ans et que je verrais bien mal la chose si, à ses seize ans, je le retrouvais dans le lit d'une femme de quarante ans, fut-il consentant... C'est d'ailleurs arrivé à mon frère et mes parents n'ont rien pu faire. Car, in fine, il n'y a rien d'illégal puisque le mineur est consentant et âgé de plus de quinze ans. La morale et la loi ne font pas toujours bon ménage. Dans l'affaire qui a touché récemment le rappeur La Fouine — je ne me ferais jamais à un tel pseudonyme... — ce qui lui avait été reproché par la justice n'était pas un acte de pédophilie, puisqu'il était lui-même mineur au moment des faits, mais un acte d'agression sexuelle ce qui est tout aussi grave, mais n'est pas la même chose. N'en déplaise à Booba — autre rappeur au pseudonyme bien senti... Je discutais avec un psychiatre dernièrement qui m’expliquait n’avoir jamais autant reçu de parents terrorisés à l’idée d’avoir des pensées pédophiles envers leur enfant. Cette médiatisation à outrance a eu raison de notre… raison, nous avons peur de tous le monde, nous avons peur de nous-même, terrible spirale dantesque issue de nos peurs ancestrales qui resurgissent du fin-fond de nos histoires préhistoriques. Autre histoire à se bidonner de rire, lorsqu’à la sortie du scandale de la coucherie entre le footballeur Ribéry et Zahia — qu’on ne présente plus —, certaines bonnes âmes avaient crié au crime pédophile… Je n’ai aucune sympathie pour le personnage de Ribéry, mais de là à l’accuser de pédophilie pour avoir couché avec une bombe très consentante de 17 ans, arrêtons quand même cette élégance de la bêtise qui sclérose notre époque… Ribery n’est pas plus pédophile qu’académicien !

Alors que penser de Matzneff, que penser des nombreux articles de blogs hurlant au scandale  ? Faites l'expérience et tapez dans la barre de recherche de Google les mots clés  : prix, Renaudot, pédophile et vous obtiendrez ceci  :

Le prix Renaudot décerné à un défenseur de la pédophilie  ;
Le prix Renaudot essais à un un pédophile  ;
Retirer le prix Renaudot à Gabriel Matzneff militant pro-pédophile  ;
Militer pour la pédophilie n'est pas un crime  ;
Etc.


Alors, je remarque tout de même une chose qui m'a frappé dans les propos de Matzneff, les âges de ses «  conquêtes  » s'allongent au fil des ans. Dans les extraits les plus anciens de l'émission Apostrophe, il avoue en effet avoir eu des rapports avec des enfants de treize ans, puis dans une émission plus récente, il nie en avoir eus avec des enfants de moins de quinze ans. Confusion qu'il est facile de retrouver dans les vidéos de l'émission sur Youtube. Point de détail qui a tout de même toute son importance car dans un sens, Matzneff est effectivement un pédophile et quelques années plus tard, il ne l'est plus.
De toute façon, ce qui est certain c'est que l'homme a bien cherché la volée de bois vert — sans jeu de mots... — qui lui est tombée dessus sur le net en multipliant les provocations et certaines de ses répliques sur le plateau d'Apostrophe par exemple sont tout bonnement consternantes  : 

Il y a beaucoup d'autres façons de pourrir un gosse que de coucher avec.

Au sujet de la prostitution enfantines, il n'y va pas non plus avec le dos de la cuillère dans son œuvre  polémique
Les moins de seize ans, Julliard, réédition de 1994 :

...chacun donne ce qu'il a, l'oiseau son chant, la fleur son parfum, le créateur son œuvre, la cuisinière ses bons petits plats, le sage vieillard sa sagesse, le riche son argent, le bel enfant sa beauté. En outre, si violence il y a, la violence du billet de banque qu'on glisse dans la poche d'un jean ou d'une culotte (courte) est malgré tout une douce violence. Il ne faut pas charrier. On a vu pire.

Vous en voulez encore  ? Extrait de
Mes amours décomposés  : journal 1983-1984, Gallimard.

Un joli gamin, pétillant de malice, parlant un bon anglais, écolier bien propre, treize ans. Il n'a pas voulu que je le baise, mais il m'a sucé à merveille et m'a fait jouir  ;

Vous n'êtes pas tout à fait convaincus  ? Tiré du même ouvrage  :

«  la peau douce, le corps gracile, la bouche industrieuse, le culo divino d'un Gilbert, treize ans, d'un Normin, douze ans, me donnent beaucoup de plaisir, mais un corps de très jeune fille aux formes non totalement épanouies mais déjà esquissées me trouble davantage. N'en déplaise à ceux qui me tiennent pour un amateur de petits garçons qui a parfois des faiblesses pour les filles, c'est le contraire qui est vrai. (...) Ici, à Manille, de l'autre côté du globe, je goûte aux suprêmes joies de la liberté — y compris celle de ne pas faire l'amour, tout en n'ayant qu'un geste à faire pour avoir aussitôt dans mon lit une fille de quatorze ans ou un garçon de douze.

Alors, merde  ! Si ce type n'est pas pédophile, qui l'est  ? En effet, il ne revendique aucune violence, mais M le maudit parle de violence physique et qu'en est-il de la violence psychologique exercée sur de si jeunes gens  ? J'ai eu à faire à un pédophile lorsque j'avais 12 ans. C'était la première fois que je me rendais au cinéma seul et ce type s'est masturbé à côté de moi durant toute la première partie du film — le sixième continent des studio Disney, de mémoire —, jusqu'à ce que je finis par aller m'asseoir, mort de peur, vers les premiers rangs entouré d'autres spectateurs. J'ai eu peur sur le coup, mais je m'en suis remis. Mais, que se serait-il passé dans ma tête si les choses avait été plus loin  ?
Hervé Vilard — oui, oui, le chanteur de Capri, c'est fini — exprime assez bien son opinion dans une émission Les grandes gueules de RMC, le 31 décembre 2010  :

J’ai honte… À l’orphelinat, nous avions des attouchements. Même nos juges, les juges pour enfants, faisaient des attouchements sur les enfants, dans les années 1950, comme à l’orphelinat Saint-Vincent-de-Paul. C’est connu, même de grands politiques ont des dossiers, c’est pourquoi ils ont fait de belles carrières, évidemment. On se faisait un peu tripoter, on avait droit à des bonbons. Oui, ça m’a traumatisé. Ca me fait frémir que ça existe encore. Mais je ne suis pas un militant, je ne suis pas armé pour ça. Je savais que des responsables politiques hauts placés étaient des tripoteurs et ensuite ont fait des carrières. Je ne donnerai pas de noms. Le monde de la politique et de la justice en est plein.

Je sors à l’instant d’un blog où l’auteure signale que Matzneff est de toute façon fini et son histoire fait partie du passé, elle s’en réjouit, semblant conclure que la pensée pédophile est enterrée. Signalons quand même que rien n’est terminé et que le net regorge d’images et de films à caractère pédophile, le réseau Tor — internet souterrain — en déborde…

Alors, bien sûr, Matzneff a du talent et ce talent est reconnu par tous. Bien sûr qu'il n'a pas écrit que sur ce dont nous parlons depuis le début de cet article, bien sûr que son bouquin est sans doute bourré de trouvailles, d'idées et de bons mots, mais bien sûr que des gens sont choqués, bien sûr que des gens trouvent que le fossé se creuse de plus en plus entre les diverses sociétés qui composent notre société, bien sûr que ces gens pensent de plus en plus que certains, sous couvert d'une respectabilité dans tel domaine considéré comme indispensable à la culture, au fric ou à la politique ont une carapace solide harnachée au dos, les protégeant de la loi qui pourtant est censée s'appliquer à tous.


Alors cet essai  ? Que vaut-il  ? Le Renaudot  ? Je ne sais pas, je n'ai pas vraiment d'opinion, je me demande simplement s'il n'aurait pas été mieux senti de l'attribuer à d'autres écrivains, à qui il aurait été sans doute plus utile qu'à cet homme à la carrière finissante et à l'odeur de souffre...
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