LE BLEU D'ADÈLE
10/02/17 18:09 Classé dans :
BD | CINE Les couleurs chaudes se refroidissent à l'écran... Et si nous tentions de confronter Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh à son adaptation cinématographique La vie d'Adèle, chapitre 1 & 2 de Abdellatif Kechiche...

Le film a beaucoup fait parler de lui... Des actrices maltraitées, une palme d'or, un sujet brulant... Bref, il a monopolisé l'espace médiatique durant de nombreuses semaines et continue encore d'alimenter moultes discussions entre ceux qui ont aimé ou bien détesté l'œuvre de A.Kechiche. Mais, de nombreux spectateurs ignorent que le film a d'abord été une BD à succès parue aux éditions Glénat et écrite par la talentueuse Julie Maroh...
Le première différence de taille entre le livre et le film est incontestablement la gestion des tempi qui rythment les aventures de Clémentine sur papier ou d'Adèle sur pellicule. Il faut tout de suite noter que le film s'étend sur plus de trois heures et certaines scènes ne méritent pas une telle longueur... Dans le livre, quelques pages suffisent à présenter le personnage central et faire comprendre au lecteur qu'elle est jeune, belle, qu'elle ne sait pas encore qu'elle est homosexuelle et qu'elle est draguée par Thomas et vient de croiser une étonnante jeune fille aux cheveux bleus dont elle finit par rêver dans des scénarii oniriques très érotiques. Cette mise en situation a besoin de 16 pages dans l'album et une heure dans La vie d'Adèle... c'est long une heure pour raconter ça...
Seconde différence de taille, dès les premières pages (20) du livre, on comprend que Clémentine est morte, que ce que l'on voit est un flashback et qu'elle a vécu quelque chose de tragique avec la fille aux cheveux bleus. Et on comprend vite que c'est là la moelle épinière du livre et qu'il s'articule sur cet axe tragique et romanesque issu d'une relation transcendée et mortelle, d'une passion surtout... et de facto, mortelle...
Dans le film de Abdellatif Kechiche, l'héroïne ne meurt pas. Sa mort est tout juste suggérée à la fin, étonnant, d'autant plus que cette dimension dramatique s'accordait pourtant fort bien au cinéma d'auteur... si cher à Cannes.
Les dialogues du livre sont légers, certes, l'auteure se focalisant sur son dessin — d'ailleurs de nombreuses cases sont muettes — alors que ceux du film sont radicalement gnian-gnian, voire débiles. Finalement pas si loin du mémorable À nous les petites anglaises (de Michel Lang) ou de La boum (de Claude Pinoteau), si, si... Kechiche n'ayant certes plus mis les pieds dans un lycée depuis quelques années, aurait pu se documenter un peu sur le sujet, cela lui aurait évité cette galerie de personnages improbables qui a depuis longtemps déserté les cours de récré et nous éviter du même coup ce melting-pot anachronique. Par exemple — et pris au hasard — lors de la première rencontre en tête à tête sur un banc dans un parc, les deux filles parlent d'un livre qui n'est pas cité dans la BD alors que dans le film les ados parlent de Laclos, Marivaux, Antigone... Là où le livre déroule en séquences muettes les rencontres de Clémentine, le film expose celles d'Adèle dans une suite de clichés plus navrants les uns que les autres. Le réalisateur a sans doute voulu combler les silences du livre — au sens musical du terme —, mais à trop vouloir montrer l'adolescence telle qu'il la fantasme, il emplit son film d'autres silences — au sens premier du terme, c'est-à-dire dans son acception d'ennui...
Un bon point pour le film, au niveau de l'altercation entre Adèle et une autre fille dans la cour du lycée au sujet de son hypothétique homosexualité, durant laquelle d'autres ados viennent se greffer intrigués et friands d'un voyeurisme bon marché. La scène est particulièrement bien jouée alors qu'elle passe en filigrane dans le livre. La caméra tente d'évoluer au milieu de ces agressions verbales jetées telles des morsures puissantes au visage de l’héroïne. Un beau moment de cinéma dans lequel se dessine l'apprentissage de la violence et de la beauferie dans les cours de récré...
Enfin, et c'est le point star qui a entouré la promo du film, l'œuvre de Kechiche se détache du livre en raison de son voyeurisme particulièrement opulent lors des scènes de nus dont on se demande si elles ne sont pas — in fine — le véritable vecteur du scénario... Alors que le livre offre quelques vignettes érotiques — à peu près 5 pages, ce qui n'en fait pas un ouvrage pornographique, le film en revanche dérape lourdement sur le sujet... Et, comment dire... À quoi peut bien servir une scène de cul — j'emploie le terme à bon escient — une scène de cul, disais-je, de presque 7 minutes ? C'est long, c'est poussif... Il semble que l'on entend Kechiche gueuler à ses comédiennes : « Là, maintenant tu lui bouffes le cul... N'hésite pas, met ton nez dans sa fente, elle aime ça cette chienne... ». Et du coup, on comprend que, effectivement, le réalisateur n'a pas souhaité raconter l'histoire du livre, mais bel et bien se tourner son petit porno intello en embarquant dans son délire le spectateur qui se sent soudainement gêné d'être ainsi placé dans la peau du beauf hétéro que les gouines ne dérangent pas, pour peu qu'il soit le troisième larron de l'histoire... de cul bien entendu !
En conclusion, Kechiche n'avait pas souhaité transposer l'intégralité de la BD au cinéma et c'est pourquoi le film s'est appelé La vie d'Adèle, Chapitre 1 & 2 — il était d'ailleurs question de le sortir sous son titre de papier dans un premier temps —. En effet, le chapitre 1 étant pour le réalisateur celui de la « formation » et le 2, celui de « la mise à l'épreuve ». Alors que le livre raconte sincèrement les doutes et les interrogations liés à la découverte de l'homosexualité à l’adolescence, puis la douleur de la passion, la puissance de l'amour, la beauté du regard de l'autre qu'il offre et une certaine dose de mélodrame aussi... pas forcément indispensable d'ailleurs. Pourquoi faire mourir Clémentine à la fin ? Mystère d'auteur... On notera au passage les très beaux graphismes de l'œuvre de Maroh, tout en finesse et en goût. Le film, quant à lui, repose sur simplement deux aspects de la BD et c'est peu dire que ces deux focus-là sont irréversiblement réducteurs, on n'ose dire castrateurs de l'œuvre. Et bon sang que c'est long... Kechiche souhaite, parait-il, monter une version avec 40 minutes supplémentaires... Est-ce bien raisonnable ?
Tags: La vie d'Adèle, Le bleu est une couleur chaude , Kechiche, Maroh